RITUHËLL
Illustrations & Légendes
Le journal de Faya
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Mercredi 23 mars 81
Cher Journal,
Je n’avais pas particulièrement envie de te débuter, ni même de me mettre à écrire mes pensées que je considère à leur place au fond de mon esprit. Mais mes parents pensent qu’il s’agirait d’une bonne thérapie.
Selon eux, je parle beaucoup trop, et mon besoin de s’exprimer pourrait se calmer si je partageais toutes les idées qui se bousculent dans ma tête sur ces morceaux de parchemins.
Je ne pense pas que ce soit une excellente idée. Pas que je n’aime pas écrire, j’adore inventer toute sorte d’histoires à propos des fées, mais je me sens comme une étrangère face à ce parchemin vierge qui n’attend que ma plume.
Mais, bavarder à propos de ce que je souhaite n’est pas le sujet ici. Je sais que mes parents ne liront pas ces textes, je leur refuserai avec hargne, et me plaindre ne m’apportera rien hormis une sensation désagréable de satisfaction déplacée.
Mon nom est Faya. Dans l’ancien langage, ce mot symbolise le feu. Mes parents avaient l’espoir que mes cheveux soient roux comme ceux de mon père. Fort heureusement, j’ai bel et bien hérité de cette caractéristique.
Dans notre Royaume, la rousseur est rare, très rare. Elle est symbolique de noblesse et de pouvoir. Les plus grands mages étaient roux. Éclat lui-même était roux !
Tu dois sans doute te demander qui est Éclat… Il s’agit d’un dieu auquel mère croit fermement. Un dieu protégeant les âmes en peine. Un dieu bon et juste. Je ne sais pas si je devrai y croire également, mais je reste sceptique.
Qu’est-ce qu’un dieu ?
A-t-il réellement existé ?
Où est-ce une invention pour calmer les jeunes enfants ?
Père est lui aussi sceptique. Mais ce n’est pas, car il se pose ces questions, pourtant fort intéressantes. Non, père est tout simplement passionné par sa propre culture. La culture estane.
Ce mot, qui doit lui aussi te sembler inconnu, décrit notre pays. Le Pays de l’Est. Ma terre.
Ici, nous sommes proches des animaux. Les dieux n’existent pas. Nous chantons à la lune, et dansons au soleil. Nous parcourrons des milles pour profiter de la nature. Notre pays est le plus beau et le plus enchanteur du monde.
Je sais qu’il existe d’autres endroits, au-delà de la mer, où d’autres cultures se mélangent. J’ai souvent entendu parler du Royaume du Nord. C’est un endroit vaste, et très froid. Là-bas, les coutumes sont barbares, et la violence commune. Pour rien au monde je ne souhaiterais m’aventurer dans un tel endroit.
Heureusement, je n’ai pas à bouger et je m’en contente bien.
Mercredi 30 mars 81
Mon cher ami,
J’ai décidé de t’écrire chaque mercredi, afin d’avoir assez de choses à te raconter dans ces pages. J’ai réfléchi toute la semaine à ce que je pouvais écrire, et j’ai finalement décidé de commencer par le début.
Tenir un journal est un travail fastidieux, je m’en rends parfaitement compte, et c’est pour ça que je vais commencer mes premières notes en t’expliquant clairement qui je suis, et le contexte. Ainsi, je pourrai te parler sans que tu ne sois perdu.
Tu dois maintenant te dire : « Mais pourquoi serais-je perdu ? Je suis un recueil de pensées, par un roman. Personne d’autre ne me lira ! »
Je t’arrête immédiatement. Je me suis renseignée, et il se trouve que les journaux sont souvent conservés comme trace du passé, et lus avec attention par les érudits. Ainsi, ils deviennent des reliques, et leur importance est capitale.
Je décide donc que toi, mon très cher journal, tu auras comme but de laisser une trace de mon passé, de mon existence ainsi que celle de mon entourage. Nous resterons dans les mémoires, et ces infimes détails que je te partage pourront être d’une grande aide aux générations futures.
Mais trêve de bavardages.
Mon nom est Faya, et j’ai dix-sept ans. J'aime lire et je suis capable d'écrire correctement, c'est l'une de mes fiertés, et cela je le dois à mes chers précepteurs qui m’enseignent avec précision comment une princesse doit se comporter.
Oui, une princesse. La Princesse de l’Est. Et un jour, je serai Reine. Je dirigerai le Royaume et j’offrirai à nos sujets un monde bon et juste.
N’est-ce pas un beau rêve ? Je le caresse tendrement chaque nuit, en attendant le jour où ce sera mon tour de gouverner.
Dans notre pays, ce sont les femmes qui décident de la destinée de nos terres, au contraire du Nord, dont je te parlais précédemment, qui mettent en avant les hommes.
Les hommes ! Ces tas de muscles, ces brutes sans respect ne pensant qu’avec ces choses immondes qu’ils ont sous la ceinture.
Et dire qu’un jour je devrais me marier avec l’un d’eux… Je ne suis pas pressée.
Mes amies rêvent toutes de trouver leur âme sœur. Un homme romantique, spontané, qui les couvrira de fleurs et leur chantera la sérénade. Je ne les comprends pas. Plus d’un noble à demander ma main, espérant que mes parents accepteraient de me céder contre quelques richesses.
Ces sirs étaient de purs rustres, incapables de se tenir. Les voir m’emplit d’horreur, et leur simple vision me fait frissonner. Je suis loin d’avoir hâte de me marier.
Mais bien que j’ai dix sept ans, je n’ai toujours pas saigné. Je suppose que ce n’est donc pas réellement d’actualité.
Mecredi, 6 avril 81
Petit paquet de feuilles,
Je suis en désarroi lorsque je t’aperçois sur mon bureau, attendant impatiemment que je gratte ton papier de ma pauvre plume fatiguée.
Mais, je dois obéir, et c’est avec réticence que je débute cette pensée de la semaine.
J’ai un frère, un petit frère. John. C’est un garçon un peu benêt, qui traine dans les robes de notre mère en attendant de savoir quoi faire. Il n’est pas très doué de ses mains, et n’a pas vraiment de talent.
Je sais que je peux te paraitre mauvaise langue en parlant de lui ainsi, et ce n’est pas que je le méprise. Mon frère est un cadeau du ciel, un garçon adorable qui ne ferait aucun mal à une mouche. Mais il me rend parfois un peu triste. Je me demande ce qu’il fera de sa vie, quand je serai Reine.
Habituellement, les hommes conseillent. Mais le pourra-t-il ? J’en doute fort.
Pour continuer de parler de John, je vais te faire une petite description de son physique : c’est un garçon de treize ans, qui me dépasse d’une pomme, et dont les cheveux bruns arrivent aux épaules. Ses cheveux sont légèrement bouclés, et particulièrement soyeux. Quant à ses yeux, ils sont d’un vert profond, très sombre, aux éclats noisette.
Mon frère est un beau benêt. Mes amies rêvent toutes qu’il les courtise. Pourtant, comme je le connais parfaitement, je sais qu’il n’est pas comme elles l’imaginent. Il ne saurait pas séduire une femme.
Je me sens mal de parler de lui en de si mauvais termes, alors que je l’aime tant. Je vais donc laisser ce sujet de côté pour en aborder un autre : mes parents.
Je t’avais déjà vaguement parlé d’eux lors de ma première note, mais je n’étais pas allée très loin, et je dois t’avouer que j’aimerai leur faire un peu d’honneur ici, eux qui sont si bons avec nous.
Père est le roi de l’Est, et un homme de petite taille, un peu rond, dont la moustache grise était auparavant d’une jolie rousseur. C’est un homme charmant, tout aussi bavard que moi, dont la principale passion est la magie.
Oh, cette douce magie, si pure et belle.
Père est un excellent mage. Les duels de magie sont sa spécialité, et chaque année il en organise dans notre palais pour son bon plaisir. Ces festivités m’emplissent à chaque fois de joie, et c’est avec impatience que je les attends.
Mère est la reine, comme tu as dû le comprendre, et une très belle femme. Très grande, ses oreilles sont longues et pointues. Elle nous explique souvent que son peuple descend de deux peuples opposés ayant été forcés de fusionner. Les Elfes, et les Nains. Je t’expliquerai cette légende une autre fois, ce sera un parfait sujet de note.
Mère est une dirigeante de renom, talentueuse, parfois stricte, mais jamais injuste. Tous nos sujets l’admirent. Sa bonté n’a d’égale que sa beauté.
Mon rêve, dans le futur, serait de lui ressembler. Être une femme aussi parfaite me comblerait de bonheur. Mais pour le moment, je ne suis qu’une minuscule petite fille qui sourit trop souvent, et qui aime sautiller dans les couloirs. Je n’ai ni sa prestance, ni sa voix, ni son aura… Rien.
Mais, trêve de bavardages, je pense que cette note est assez longue.
Mercredi 13 avril 81
Petit confident de mes mots,
Depuis quelque temps mes rêves sont peuplés de visions que je ne comprends pas. Parfois, je vois un immense labyrinthe sans fin. Parfois, je vois une forêt étrange, qui me glace d’effroi. Parfois, je vois une immense ville sur une colline. Mais jamais je n’arrive à me rappeler précisément ces endroits.
Je sais juste qu’ils me rendent profondément nostalgique. Je n’arrive pas à me les sortir de la tête, et je tente régulièrement de dessiner ces lieux pour en garder une trace. Je ne sais pas vraiment ce qui m’arrive, mais que mes beaux rêves qui autrefois représentaient mes plus beaux espoirs soient remplacés par ces visions est déstabilisant.
Je ne sais pas si je devrais en parler à Mère ou Père. Ils pourraient croire que je suis malade. Ils me couvent beaucoup trop, et pensent que je pourrai me briser au moindre coup de vent. Je ne veux pas les inquiéter pour quelques images qui tournent dans mon esprit.
Ce n’est pas comme s’il s’agissait de cauchemars ou de terribles visions. Certes, je me sens mal à l’aise au réveil, parfois même une envie de sangloter dans mon lit me pousse à me fondre sous mes draps pour me remettre de ces émotions. Mais ce n’est pas dramatique.
Je me remets vite de ces sentiments qui me troublent.
Avec l’espoir que la nuit suivante, un rêve classique visite mes songes pour me permettre une nuit de sommeil douce et réparatrice.
Mercredi 20 avril 81
Mon ami,
Voilà donc un mois que je t’ai débuté, et pourtant je n’ai pas l’impression d’avoir tant écrit que ça. Mes parents viennent parfois me demander si je me prête à l’exercice, mais ne vérifient jamais. Je pourrai très bien te laisser là, et leur mentir.
Mais je sais qu’une princesse ne doit pas cacher la vérité, et faire ses devoirs. Pour le moment, tu n’as pas le but escompté, car je bavasse toujours autant, mais je ne pense pas qu’il soit possible à la petite Faya d’arrêter de piailler toute la journée.
Cette semaine, je me suis promenée en ville avec mes deux meilleures amies. Lola, et Caly.
Lola est une jeune fille rousse un peu plus âgée que moi, dont le passe-temps préféré est de regarder les garçons. Elle aime les noter, et rêver du grand amour. Je la trouve adorable, mais un peu cruche.
Caly quant à elle est plus jeune que moi, et ses cheveux sont d’un blond presque blanc. Caly est une fille plus discrète, qui se fond dans notre ombre. Elle aime nous écouter papoter durant des heures, et nous suivre quand nous partons à l’aventure dans la ville.
Ce sont deux amies formidables, et je ne crois pas que nous serons séparées un jour.
Hier, quand nous sommes allées au marché, nous avons fait tomber le vase d’un marchand du Sud. Nous n’avions pas fait exprès bien entendu, mais nous avons eu la peur de notre vie quand celui-ci nous a menacés de nous éviscérer dans d’atroces souffrances.
Notre course à travers les ruelles pour le semer nous a particulièrement effrayées, mais c’est avec amusement que nous nous sommes regardés, juste après.
Bien entendu, le marchand ne pouvait pas savoir que je fais partie de la noblesse. Lorsque je m’absente du château pour me dégourdir les jambes dans la cité, je n’aime pas montrer mon rang. Lola et Caly sont toutes deux des servantes, et je me sentirai mal d’être vêtue différemment d’elles.
Et je pense que tu as deviné que mes parents n’en savent rien. S’ils savaient que leur princesse s’absentait pour se vêtir de haillons, dans la basse cité, ils en mourraient d’inquiétude.
Je te le disais. Ils me couvent beaucoup trop. Mais je suis maligne.
Mercredi 27 avril 81
Ma feuille volante adorée,
Me revoici à te parler de ces songes qui me troublent tant. Je ne sais pas vraiment ce qu’ils sont, mais plus le temps passe, plus il me semble qu’ils ont cet aspect caractéristique des souvenirs.
Cette idée, qui prend forme dans mon esprit, m’a été glissée par Caly.
Mon amie croit fermement que nous possédons tous une âme du passé. Elle pense que ce sont des morceaux de mon ancienne vie qui me reviennent en rêve, comme pour me dire de ne jamais les oublier.
Caly pense que tous les rêves sont des traces de ce passé perdu.
Je ne sais pas si elle à raison, ou tord. Mais ces endroits, je ne les ai jamais vus de mon vivant, et je ne saurai inventer des lieux aussi détaillés en songes. Tous ces minuscules petits détails qui pourtant devraient être flous ou proches de ma réalité sont si précis dans mon esprit.
Mon âme tenterait-elle de me dire quelque chose ?
Je sais que je ne dois pas parler de cette idée à mes parents. Ils pourraient croire que je m’intéresse aux croyances barbares, et que je pourrai me convertir à leur vision de la vie. Ce qui bien entendu est faux. Pourquoi donc abandonnerais-je nos traditions à cause de ces rêves ?
Mercredi 4 Mai 81
Journal,
Depuis notre dernière discussion, je me questionne franchement sur le bien-fondé de mes songes, et sur l’existence d’une possible âme en moi qui tenterait de me parler.
Je dois bien t’avouer que l’idée d’être spéciale, et d’avoir quelque chose de si passionnant à te raconter me comble de bonheur, et c’est avec fierté que je cherche comme je peux des informations qui pourraient m’indiquer comment découvrir la vérité.
Caly est de plus en plus ouverte pour me parler de cette idée, et si l’idée que mon amie puisse s’épanouir dans nos discussions me comble de bonheur, je suis légèrement effrayée par ce que je découvre.
Je ne la connaissais pas, et ça m’effraie. Je pensais qu’elle était comme nous, qu’elle croyait en la nature et aux traditions estanes. Mais la vérité est pire. Elle est l’une de ces barbares dont je te parlais précédemment, dont le culte est si violent qu’il n’apporte que misère et désolation.
Ils se nomment les Abarians. Notre pays n’est pas leur terre natale, et ils sont bien peu à fréquenter nos villes. Mais dans le Nord et le Sud, ces hommes pullulent comme la mauvaise graine, répandant leurs idées néfastes autour d’eux.
Ces hommes croient en une multitude de dieux. Si, j’étais déjà doucement perturbée par l’idée que mère puisse croire en UN dieu, comment pourrais-je me faire à une centaine d’entre eux ? Autant de personnages dans une seule croyance ?
Ce n’est pas possible.
Père m’avait expliqué que le principe de dieu est là pour nous donner des personnes à admirer, et un exemple à suivre. Que ces gens, les Abarians, ont besoin de sentir une sorte d’autorité supérieure pour pouvoir respecter leur société. Ou quelque chose dans cet esprit.
Je ne comprends pas réellement, mais je sais que ce n’est pas bien. Alors pourquoi Caly serait-elle une de ces personnes ?
Pourtant, malgré mes paroles dures, je ne peux m’empêcher d’être curieuse et de lui poser moult questions. Et de trouver, au fond de ses réponses, des traces de vérité.
Je suis troublée par ce qui m’arrive.
Qui dois-je croire ?
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Père, qui prône le pouvoir de la nature, et de la libre pensée ?
Mère, qui croit en un dieu puissant et unique qui nous protégerait ?
Ou bien Caly, et ces centaines de dieux aux histoires portant si humaines ?
Mercredi 11 mai 81
Mon ami de papier,
Je suis une femme. Depuis quelques jours, j’ai la chance et le malheur, d’avoir passé un nouveau cap dans ma vie. Je suis capable d’enfanter.
J’ai le devoir de trouver un bon parti. Un noble qui m’épouserait, et aiderait le royaume à prospérer.
J’ai un peu peur à cette idée. J’ai l’impression que ces quelques misérables gouttes de sang m’ont propulsé vers un monde que je ne voulais pas approcher.
Je me retrouve enfermée dans des devoirs et des obligations que je n’ai jamais demandés. Pourquoi n’aurais-je pas le droit de profiter de ma jeunesse ?
Dans un an, je serai mariée. Qui sera mon époux ?
Mercredi 18 mai 81
Cher confident,
Je dois t’avouer que si la semaine passée, je n’ai pas évoqué le cas de ces souvenirs brumeux qui me taraudent et m’empêchent de sommeiller, c’est, car depuis peu j’ai compris.
J’ai compris que les mots que mon amie Caly m’offrait. Les Abarians ne sont pas de simple fou ou de simples barbares. Ce en quoi ils croient est bien plus qu’un simple mythe. Les « dieux » qu’ils adorent… Je pense sincèrement qu’ils ont existé.
Sinon, pourquoi connaitrais-je leur nom sans jamais les avoir entendus ?
Mais, je fais une distinction importante. À mes yeux, ces « dieux » ne sont pas des divinités. Ce sont des hommes et des femmes comme nous, qui ont eu la chance de marquer l’histoire.
Cela me semble une évidence, mais Caly n’accepte pas mes paroles. Elle pense que je bafoue ses croyances. Que, à cause de ma mentalité Estante, je n’arrive pas à assimiler ce qui pourtant est bien réel.
Pourquoi donc ne peut-elle pas me croire ?
J’ai l’impression que toutes ses questions, ses remises en cause, me changent. Même ma manière d’écrire évolue. Plus simple. Pourquoi m’embêter avec des convenances, lorsque je peux aller à l’essentiel ?
Mercredi 25 mai 81
Petite feuille opprimée par mes sentiments,
Je cherche toujours le nom de celle que je suis. Le nom de mon âme. Caly me répète que le jour où je le comprendrais, je renaitrai enfin. Que ce jour-là, mes questions auront des réponses.
Quel est ce labyrinthe ? Quelle est cette cité étrange dont je rêve ? Quels sont ces visages, qui chaque nuit, deviennent plus nets ?
Mercredi 2 avril 81
Journal,
Cette semaine, mère et père ont organisé un immense bal en mon honneur, pour me faire mieux connaitre des nobles. Leur projet de me marier est toujours aussi frais que le premier jour.
Les garçons que j’ai rencontrés étaient idiots et dépourvus de charmes. Et les hommes… Pensent-ils que je suis un simple morceau de viande que l’on peut acheter contre quelques richesses ?
Je ne veux pas faire ma vie avec un vieillard ni avec un idiot.
Suis-je difficile ?
Mercredi 9 avril 81
Cher ami,
Cette semaine, je me suis centrée sur la recherche de ce moi profond. Je pense que je centrerai mes écrits sur ce projet. Pourquoi donc te parler de ma vie, de mon entourage, alors que cette quête personnelle est mille fois plus intéressante ?
Je perds l’envie de parler de sottises.
Mère pense que sa punition fait effet. Je parle moins. Je ne suis pourtant pas moins bavarde. J’ai juste tant de choses à penser, que les dire me ferait perdre un temps monstrueux !
Mercredi 16 avril 81
J’ai trouvé son nom !
Pardonne-moi, petit Journal, de ne pas te saluer d’emblée, mais je suis euphorique. Je commence à comprendre, et à me sentir autre.
Son nom, celui de mon âme, m’est venu. Comme un murmure dans l’océan de mes pensées. D’un coup. Soudainement, et pourtant si doucement. Je ne sais pas comment expliquer cette sensation.
Comme un déjà vu, mêlé à une révélation.
Riddim.
Autrefois, je vivais sous le nom de Riddim. Je n’étais ni homme, ni femme, mais un mélange des deux. C’est étrange à concevoir.
Les souvenirs affluent petit à petit, et se mêlent à ma vie présente. Je me sens totalement détachée de la Faya qui quelques jours auparavant t’écrivait ses pensées.
Suis-je devenue une autre personne ?
Mercredi 23 avril 81
Cher ami et confident,
Depuis quelques jours, je me sens changer. Comme si la révélation, celle qui m’a emplie de joie, était le déclic qu’il fallait à mon corps pour comprendre qui il était.
Ma peau devient plus blanche. Jamais mes taches de rousseur n’avaient été aussi visibles.
Durant quelques heures, ma vision est devenue terne. Le monde n’avait plus de couleurs. J’ai eu très peur.
Mais depuis, mon regard à changer. Mes yeux sont dorés. Comme ceux de Riddim. Je les trouve magnifiques.
Mercredi 30 avril 81
Cher Journal,
Père et Mère me croient malade. Ils font venir tous les guérisseurs du Royaume, pour tenter de me soigner. J’ai peur.
Mercredi 7 mai 81
Les hommes et les femmes se suivent dans ma chambre. Je n’ai plus un instant d’intimité. Je suis confinée dans mon lit, sans l’autorisation de ne serait-ce posé un pied dehors.
J’ai tenté, vainement, de prévenir mes parents. De leur expliquer que tout cela n’était que le fruit d’un changement intérieur, et que je restais la même. Mes paroles m’ont rendue folle à leurs yeux.
Moi ? Abarianne ? Leur petite princesse adorée parlant de ces contes barbares qui n’auraient pourtant jamais du arriver jusque ses oreilles ?
Quelle folie !
Ils pensent que j’ai perdu la raison, que la maladie me fait délirer. Pourtant, les guérisseurs ne trouvent rien.
Mercredi 21 mai 81
La semaine dernière, je n’ai pas eu le droit de t’écrire. Fort heureusement, je n’aurais parlé que de cette routine quotidienne qui me plonge chaque jour dans le désespoir.
J’ose espérer que demain sera un jour meilleur.
Mercredi 28 mai 81
Plus les jours passent, et moins je t’écris. Est-ce la lassitude qui me rend aussi morose ?
Mercredi 4 juin 81
Un homme est venu. Il était différent des autres guérisseurs. Plus sombre. Plus imposant. Différent.
Il m’a ausculté, comme tous le faisaient auparavant. Père et Mère ne prennent même plus le temps de vérifier que la personne dans ma chambre fait bien son travail. Ils s’en vont avant.
Ils ont repris leur routine, m’oubliant dans les bras de ces inconnus qui chaque jour me touchent de leurs mains sales.
Mais cet homme… Il ne faisait que semblant. Lorsqu’il fut sûr que personne ne nous surprendrait, son visage changea.
Il me regarda, quelques instants, avant de me caresser la joue. Son visage au-dessus du mien. Son souffle contre ma peau.
J’avais peur. Je repensais à toutes ces histoires de viol, de folie amoureuse, et j’avais peur que cet homme qui me dévorait du regard ne m’inflige de quelconques sévices dans ma chambre vide.
Mais, il murmura un mot, un seul mot, qui changea tout. Et dans sa voix, l’espoir était si palpable que mon cœur explosa.
« Riddim ? «
Voyant mes yeux s’écarquiller, un sourire éclata sur son visage. Il me vola un baiser, mon premier baiser, et s’en alla.
Je n’ai pas compris.
Je crois que je suis tombée amoureuse d’un inconnu.
Mercredi 11 juin 81
Il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour se manifester. Il revint le lendemain. Ayant changé ses vêtements et sa coiffure, Père et Mère ne firent pas attention au fait qu’il s’agissait du même homme que la veille.
Il se posa sur le bord de mon lit, et me fixa. J’étais rouge, et je me sentais aussi idiote qu’une de ces petites écervelées qui gloussent à la vision d’un joli minois.
Il était d’une beauté incroyable. Le visage fin. La peau sombre. Les yeux dorés. De longs cheveux roux.
Je ne savais pas comment agir. Devais-je appeler les gardes et révéler sa mascarade, ou profiter de sa présence ? Quelque chose en lui me rappelait des souvenirs, mais je n’arrivais pas à les comprendre.
Il décida à ma place, en me prenant la main. Ses yeux brillaient tant… Je n’avais jamais vu autant d’amour dans un simple regard.
Puis, il m’expliqua. Son nom est Seran, et il est la réincarnation de Feths. Feths, l’époux de Riddim.
Mes souvenirs sont flous à propos de lui, mais je me souviens de violence, de haine, et d’un amour profond. Mon cœur bat lorsque son nom résonne dans mes oreilles.
Il m’expliqua. Il me cherchait depuis des années. Moi, la réincarnation de son âme sœur. Celle qui peuplait ses rêves. Alors qu’il voyageait sur nos terres, il entendit une rumeur, comme quoi je serai malade.
Ma peau devenue claire, et mes yeux dorés lui firent comprendre que j’étais une réincarnation. Il n’avait aucune idée de si je serai celle qu’il cherche, mais il tenta sa chance.
Et me trouva.
Demain, il ira voir mes parents, et leur demandera ma main. Tout se passe bien trop vite pour moi. Mais je sais qu’ils accepteront. Seran est le prince du Sud.
Le prince d’un grand royaume. Le meilleur parti.
Est une chance, ou un malheur ?
Le passé se répète, inlassablement. Demain, mon destin sera scellé. J’appartiendrais à celui qui dans mon ancienne vie, me brisa. Mais, au fond de mon cœur, je sens que cette fois-ci, nous serons heureux.
Pour toujours.
Je me nomme Faya, j’ai dix-sept ans, et je suis amoureuse d’un prince que je n’ai rencontré que deux fois.